mercredi 20 novembre 2013

Le carafage: est-ce utile ?

Lors d’une dégustation de l’Académie du vin de l’Outaouais, quatorze participants ont pu observer l’effet de quatre méthodes et durées de «carafage» sur autant de vins.

La dégustation à l’aveugle (les vins et leur carafage étaient inconnus) consistait en quatre tests triangulaires, un pour chaque paire vin-carafage.

Dans trois tests sur quatre, le nombre de dégustateurs qui ont réussi à identifier l’échantillon différent a été insuffisant pour conclure que le carafage a servi à
quelque chose.

Les quatre vins rouges qui ont été utilisés sont le Glenelly 2008 (Ont), le Barbera d’Asti Superiore Nizza 2009 d’Olim Bauda, le Château Montus 2006 et le Barolo Marcenasco 2008 de Renato Ratti. Le Glenelly a été carafé pendant une heure, le Barbera pendant trois heures, le Barolo pendant 18 heures, tandis que le Montus a été «hyper carafé», c’est-à-dire passé au mélangeur pendant 45 secondes.

Par carafer, on entend ici verser vigoureusement le vin dans une carafe à large base afin de favoriser une oxygénation maximale. (Par opposition, décanter consiste à transvaser délicatement le vin dans la carafe afin de le séparer du dépôt, quand il y en a.)

Pour chacun des quatre tests, une bouteille sur deux a été carafée ou hyper carafée et l’autre pas. Pour chaque test, trois échantillons, dont deux identiques, (carafés ou non) ont été présentés à chaque dégustateur dans des verres INAO. L’exercice consistait principalement à identifier quel échantillon était différent des deux autres.

Voici le nombre de personnes, sur 14, qui ont correctement identifié l’échantillon différent:

  •     pour le Glenelly 5;
  •     pour le Barbera 10;
  •     pour le Montus 6;
  •     et pour le Barolo 3.

Pas vraiment de surprise dans le cas du Glenelly; il est déjà admis qu’ouvrir une bouteille pour la faire «respirer» est tout à fait inefficace. Dans ce cas-ci, même une heure en carafe n’a pas été significative.

Pour le barbera cependant, ce test montre qu’on peut être certain, à 99 %, que le carafage pendant trois heures a été significatif. C’est néanmoins le seul test concluant de la soirée.

Le faible taux de succès des trois autres tests nous permet de confirmer l’hypothèse de base de tout test triangulaire qui présume que les réponses sont dues au hasard.

L’exercice permet donc de conclure que le carafage n’a souvent aucun effet détectable par les dégustateurs. Ce qui est très surprenant dans les cas de l’hyper carafage et du carafage pendant 18 heures; intuitivement, on aurait pensé que ce genre de traitement aurait laissé une empreinte beaucoup plus prononcée sur ces vins.

Pourtant, les dégustateurs n’ont pas perçu de différence significative entre les vins carafés ou non. Peut-être que, pour des vins comme Montus, fait de 80 % de tannat et de 20 % de cabernet sauvignon ou pour le Barolo à 100 % nebbiolo, seul un long séjour en cave peut en adoucir les tanins.

On a également demandé aux participants si la différence (réelle ou imaginaire) qu’ils détectaient était due aux arômes ou aux saveurs. Environ la moitié (de 43 % à 64% selon le test) ont noté des différences aromatiques et presque tous (de 73 % à 86 %) des différences de saveur.

Alors, il semble que le carafage ait un effet vraiment marqué sur la bouche du vin, surtout en réduisant l’astringence, ce qui ne surprendra personne. L’idée que le carafage révèle les arômes n’a cependant pas été observée.

Enfin, à la question: «Lequel des trois échantillons préférez-vous?», les réponses ont été très intéressantes. Dans le cas du Barbera, étant certain à 99% que les dégustateurs faisaient la différence entre le vin carafé et le non carafé, seulement 43 % ont préféré le vin carafé. Dans le cas du Barolo, carafé pendant 18 heures, 62 % ont préféré la version carafée. Mais, dans le cas du Montus, à l’encontre de tous nos préjugés quant à la façon de traiter les grands vins, les deux tiers (67 %) ont préféré le vin passé au mélangeur.

En guide de conclusion
Hormis le fait que le carafage de trois heures ait eu un effet remarqué sur le Barbera, peut-on tirer d’autres leçons de cet exercice? Sans doute. Voici quelques tentatives:

  •     La méthode et la durée du carafage doivent être adaptées à chaque vin;
  •     Pour ce faire, on doit tenir compte de toute la structure du vin, pas seulement des tanins;
  •     Il n’y a pas de technique ou de durée de carafage (ni de gadget, probablement) qui puisse remplacer le vieillissement en cave;
  •     Il y a peu de chance qu’un carafage de moins de trois heures ait un effet détectable, même pour un dégustateur exercé;
  •     Le carafage d’un jeune vin en adoucit les tanins, mais a peu d’effet sur le nez du vin;
  •     Même sans l’identifier, les gens semblent préférer le vin carafé.

Évidemment, chacun de ces points devrait être testé de façon plus rigoureuse.

Voici une vidéo montrant le passage du vin au mélangeur: http://vimeo.com/36375862

Alain Brault

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